Pour la défense d’Arcadi Espada

Les déclarations d’Arcadi Espada dans une programme télévisé au sujet de géniteurs qui, sachant que l’embryon présente des anomalies génétiques ou un risque accru de troubles métaboliques ou neurologiques, mènent à terme la grossesse, ont provoqué un harcèlement qui dépassent de loin les habituelles critiques que même lui, un homme qui vit et écrit à contre-courant, se voit obligé d'endurer.

Lors d’un acte qui transforme le harcèlement en persécution institutionnelle, le Département des Affaires Sociales de la Generalitat de Catalogne a dénoncé Espada pour incitation à la haine contre les personnes atteintes du syndrome de Down. Même si c'est démoralisant, soyons clairs une fois de plus: Espada n'a jamais parlé de «personnes atteintes du syndrome de Down», ce qui rend impossible une «proposition d’extermination» comme le soutiennent ses détracteurs.

La question que soulève Espada (de fait en se le demandant souvent à lui-même) se réfère au coût extraordinaire généré par la prise en charge nécessaire de cette «liberté de reproduction» et concrètement par qui. En tout cas, ce que l’on peut déduire de cette réflexion de Espada c’est l’obligation inaliénable de garantir à toute personne, y compris les personnes nées trisomiques bien sûr, une existence digne.

Dans ce débat, le biologiste et essayiste Richard Dawkins considère que «avorter quand une amniocentèse révèle un syndrome de Down n’est pas une plus mauvaise raison que par simple décision personnelle». Autrement dit, comme l’a déclaré le philosophe et spécialiste en bioéthique Peter Singer, les débats sur les questions bioéthiques relatives à l’avortement traitent de ce que «les gens pratiquent en privé dans les cliniques».

Mais les silences et les tabous sont toujours ennemis de la liberté. Le fait l’État n’ait pas pour priorité de fomenter ce débat, qui par ailleurs est très fréquent dans le domaine de la philosophie morale et de la bioéthique, en dit long sur l’incurie qui y règne. Cependant, le fait que celui qui a introduit le débat en Espagne soit poursuivi devant les tribunaux est un vil abus d’autorité aux relents de vengeance venant de la Generalitat. En effet, Espada est l’un des intellectuels espagnols qui a combattu le plus efficacement les nationalismes et pas seulement avec des mots puisqu’il est à l’origine du manifeste ayant conduit à la création de Ciudadanos. Nous devons également à son obstination la création de la plateforme Libres e Iguales, l’unique organisation civique s’étant mobilisée dans les rues de Catalogne contre la consultation du 9 novembre 2014 précédent celle du 1er octobre 2017.

La plainte de la Generalitat vient s’ajouter à celle déposée le 1er mars 2019 par la Fédération des Entités de Handicap Intellectuel de Catalogne (Dincat) également pour incitation à la haine. Par ailleurs, en janvier dernier, la Crida LGTBI, appartenant à la branche associative d’extrême gauche indépendantiste, a également déposé une plainte contre Espada pour incitation à la haine et à la discrimination  (homophobie), à la suite d’un texte publié sur son blog dans El Mundo «Aznar sans complexe» dans lequel il suggérait que Gabriel Rufián, député de ERC (parti politique indépendantiste catalan) au Congrès espagnol, devait recevoir le même traitement infâme qu'il réserve à ses adversaires politiques.

Nous, signataires de ce manifeste, exprimons notre solidarité avec Arcadi Espada et soulignons également notre préoccupation face aux offensives de ceux qui, sous prétexte de défendre la moralité, n’ont pour autre objectif que d’utiliser le débat public pour servir leurs intérêts mesquins et très souvent politiques.




Barcelone-New York-Luxembourg, le 14 mars 2019

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